Quels contenus enseigner ? C’est la question à laquelle, je tente de répondre dans ce post. De la théorie, de l’expérience, de la transversalité, de l’esprit critique et du mindfulness. À l’aune de l’explosion de l’IA (Intelligence Artificielle) et après la lecture de « La guerre des intelligences » de Laurent Alexandre, nous sommes au début d’une révolution des métiers et de leurs apprentissages. Au cœur de la bataille : les contenus, toujours plus nombreux, divers et évolutifs. Il n’y aura plus de silos, de fossés entre techniciens, managers, chercheurs… mais des métiers et des compétences transverses. Comment former aux nouveaux métiers tels qu’architecte du numérique, contrôleur du climat, architecte du bien-être, manager d’avatar, chirurgien de la mémoire ? Comment former aux nouvelles compétences ? Comment appréhender ces évolutions, leurs impacts métier et sociétaux ?
Les programmes pédagogiques n’ont jamais été figés. Ils nécessitent des améliorations et des adaptations permanentes. C’est le rôle du directeur de programme que de les réviser et les toiletter régulièrement. Une exigence pédagogique, peu visible du public et des étudiants mais nous avons des process complexes et longs qui font de nous des experts de l’ingénierie pédagogique. Sauf que… les temps de formation dont nous disposons sont de plus en plus courts pour des contenus de plus en plus denses et variés.
Notre mission qui est de préparer à un métier, à sa dimension opérationnelle ainsi que la validation d’un projet professionnel restent essentielles. J’ajouterais la capacité d’évolution dans ses fonctions tout au long de la vie, vers le management ou d’autres secteurs. Se préparer à l’inconnu, à des situations nouvelles que nul n’a encore rencontrés. Un défi à la fois passionnant et vertigineux.
Dans son livre, Laurent Alexandre, insiste sur le rôle que joue la technologie dans les grandes mutations de l’économie et du travail. Son impact est considérable dans la fonctionnalité des métiers et dans des sphères quelquefois surprenantes. Selon lui, une des fonctions les plus impactées, sera celle de médecin. L’expertise accumulée par la machine et l’Intelligence artificielle sont sans limite. Le diagnostique médical sera révolutionné. Même constat pour l’un des dirigeants-fondateurs de l’entreprise DEVOTEAM (3000 salariés) qui confirmait l’impact de cette mutation dans l’un de mes posts par cette citation percutante, « 35 millions d’actifs devront changer de métier ».
À quels impacts devons-nous nous préparer ? Quel métier ne sera pas drastiquement impacté ? Maître Queux, peut-être et heureusement ! Nous sommes encore loin d’imaginer ce que seront ces métiers émergents. Il est clair que la valeur ajoutée intellectuelle sera prépondérante.
Ce que l’on doit enseigner dans une grande école de management.
Bien sûr ce qui existait déjà : le management, les techniques de gestion, le marketing, la finance. Puis nous avons travaillé sur l’acquisition des soft skills, ces compétences du 21ème siècle, des savoir être plus que des savoirs ou des savoir faire. Nous avons ensuite ajouté toute la dimension de l’expérience professionnelle, des stages aux missions en passant par les projets de tous ordres portés par les étudiants dans l’école, dans les associations, avec les entreprises ou les collectivités.
Mais ce ne fut qu’un début !
Depuis une dizaine d’années d’autres matières se sont adjointes comme la géopolitique que nous avons introduite dans nos cours. Et de nouveaux enjeux pointent tels que les nouveaux modèles de croissance (ou de décroissance),l’économie du partage et des plateformes, le streaming, les bitcoins, mais également la dimension environnementale, de l’éco-conception à l’économie circulaire, aux nouvelles énergies.
Dans cette effervescence, la RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) revient sur le devant de la scène à la fois comme moteur de motivation et de sens dans les entreprises et comme objet à intégrer (ou non) dans la définition de ce qu’est une entreprise et son rôle dans la société et pour la planète — en témoignage le débat ouvert sur la modification de l’objet des entreprises inscrit dans le Code civil depuis deux siècles. Avec une difficulté majeure, l’intégration de ces dimensions dans les métiers et le management.
Autre point essentiel, l’entreprenariat. Là encore, l’entreprise en mode start-up a saisi l’économie et les plus jeunes s’y lancent sans complexe. Une autre manière de vivre sa vie d’étudiant, de se projeter ou de s’armer de compétences sans forcément aller « jusqu’au bout » de la création que certes le digital semble faciliter, du moins au démarrage.
Nous sommes maintenant passés dans la 3ème dimension, dans la technologie intégrée et appliquée à la pédagogie, à ses outils par le développement fulgurant de l’Intelligence artificielle, des réalités virtuelle et augmentée, sans oublier les robots qui automatisent déjà des sessions de formation ou des mises en situation.
Les enjeux dépassent la seule pédagogie, le hacking engendre une cybercriminalité de plus en plus efficace à laquelle il faut opposer son pendant, la cybersécurité qui devient une fonction occupée par le top management dans les grands groupes. La connaissance et la maîtrise des algorithmes sont devenues une nouvelle compétence des dirigeants et managers. Le codage dépasse largement sa dimension technique. Il est une clé de la compréhension du monde comme l’expliquait Gilles Babinet dans une récente interview sur mon blog. Comment vivre dans le monde de l’économie du partage et des plateformes sans en connaître leur nature et leur mode de création ?
Le chantier est vaste et délicat. Comment vivre sereinement son enseignement et son cours alors que — dans le même temps — plusieurs révolutions auront eu lieu, que les business models se seront transformés et que la dimension éthique apris un essor sans égal ?
Comment donc enseigner (seulement ?) de l’expérience vécue, du codage, du growth hacking, des expérimentations que nous n’aurons pas eu le temps de conceptualiser, d’en saisir les impacts globaux. Qui aurait cru que l’IA remplacerait les salles de marché et les traders ? Que Facebook modifie la perception d’une information, sa nature même ? Cela va entrainer la mise en place d’ateliers et de réflexions dans la durée. Nous avons nous, établissements d’enseignement supérieur, un rôle à jouer. Nos étudiants doivent être en mesure de comprendre, analyser et prendre du recul par rapport à l’information et à la technologie. D’où le rôle crucial de la culture générale dans l’école du futur. Pour lutter contre les fake news, Amazon a mis en place les utilisateurs certifiés, par exemple.
Cette production et ces échange massifs de données entrainent des réglementations et des pratiques que nous avons sous-estimés : la RGPD (protection des données personnelles), la e-réputation… Lors d’un récente visite dans une classe prépa, 100% des élèves avaient un profil Linkedin.
Il ne faut pas négliger la préparation à la créativité et à l’innovation, au mindfulness et au bien-être au travailmême s’il faut une certaine expérience pour bien comprendre ces deux dernières dimensions. N’oublions pas qu’une RSE bien menée génère un gain de 13% de la performance globale de l’entreprise. On en voit bien la finalité mais sa mise en place n’est pas aisée.
Dernier point : préparer à la recherche dans un objectif de pensée critique et complexe. Nous serons dépassés par cette complexité si nous ne sommes pas formés et préparés à cela.
Voilà ce qui nous attend ! Avec toujours plus de contenus, le cours devient une expérience pédagogique et académique globale : contenus fondamentaux + spécialisation + acquisition des compétences du 21 siècle et maintenant de nouvelles que ne pouvons pas encore enseigner comme nous le souhaiterions. Le rôle de l’école du futur est passionnant. Elle doit proposer l’ensemble du process, assumer sa polyvalence. La valeur de la marque en dépendra.
Tout va très vite et se posent de manière urgente des questions transverses et éthiques.
Quel rôle va y jouer l’école, l’entreprise, le métier qui lui même se transformera ou disparaîtra ? Nous n’avons pas encore toutes les clés ! Petit à petit, nous installons de nouvelles démarches et des clés de compréhension. Les initiatives récentes du ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, vont d’ailleurs dans le bon sens.